Article proposé par Maître Creisson, Avocat.
Le décret du 12 juillet 2005, réunissant en un seul corps de texte l’ensemble des règles de déontologie de la profession d’avocat, vient d’être publié au J.O. n° 164 du 16 juillet 2005, page 11688. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=JUSC0520196D.
Ce décret, apparemment intervenu sans concertation préalable de la profession, présente les principes essentiels censés guider le comportement de l’avocat « en toutes circonstances » (peut-être même, en dehors de son activité professionnelle ?).
Une partie de ces règles intègrent celles issues du décret du 27 novembre 1991.
Ainsi, les articles 155 (conflit d’intérêts), 156 (arrêt d’une affaire avant son terme), 157 (restitution des pièces), 59 (obligation de déférer aux désignations et commissions d’office), 160 (secret professionnel et secret de l’instruction), 161 (publicité) et 245 (honoraires) du décret de 1991 sont abrogés et entrent, dans leur nouvelle rédaction, dans celui de 2005.
Ce décret présente des principes essentiels de la profession (parfois au mot prés), définies par un Règlement Intérieur Unifié, œuvre du Conseil National des Barreaux, dont certaines dispositions ont été annulées par les plus hautes juridictions (voir les Web Info Hebdo n° 19, 38, 42 et 50).
Ainsi, plusieurs règles sont simplement rappelées, (secret professionnel, secret de l’enquête et de l’instruction, conflit d’intérêt, règles de prudence, de maniement de fond, honoraires, de restitution de pièces, de publicité de succession d’avocats, exigences du procès équitable, devoirs envers les clients, la partie adverse et les confrères etc.). Elles toutefois moins stricte et moins précises, dans la rédaction gouvernementale, que dans celle du Conseil National des Barreaux.
Mais des nouveautés sont à relever.
Notre seule robe ne pourrait-elle plus être l’unique justificatif de notre mandat ? L’article 8 du décret est ambigu. Désormais, l’avocat devra justifier d’un mandat écrit sauf dans les cas où la loi ou le règlement en présume l’existence. Mais tous les avocats connaissent l’article 416 du nouveau Code de procédure civile (texte également règlementaire) qui instaure précisément une présomption de mandat ad litem, en dispensant expressément l’avocat d’en justifier par écrit. Doit-on comprendre que l’avocat doive maintenant justifier (à qui ?) de son mandat, hors les cas de représentation en justice ?
Une disposition officialise une pratique parfaitement acceptée de tous et demandée par les justiciables : l’article 6 permet à l’avocat, à l’issue d’une consultation juridique gratuite donnée notamment dans une mairie ou une maison de justice et du droit, d’accepter de prendre en charge les intérêts de la personne qu’il reçoit, pourvu qu’elle en face la demande. Gageons que les avocats-candidats aux consultations juridiques gratuites seront désormais plus nombreux !
Trois dispositions vont obliger l’avocat à réclamer une décharge écrite du client (il n’est pas imposé d’écrit, mais la question de la preuve se posera) :
L’article 17 oblige d’avocat à recueillir l’assentiment de son client avant de prendre contact ou recevoir la partie adverse, en cas de solution amiable avant toute procédure, ou lorsqu’une action est déjà pendante devant une juridiction.
L’article 18 impose la présence du client (ou son accord), lorsque l’on conduit des pourparlers, à l’occasion d’une négociation. Si notre interlocuteur est assisté d’un avocat, nous ne pouvons le recevoir seul, sauf accord préalable de son confrère.
L’article 19 rend obligatoire la renonciation expresse et préalable du client au bénéfice de l’aide juridictionnelle, après information préalable des conséquences de cette renonciation, pour que l’avocat qui succède à un confrère intervenant à ce titre, puisse réclamer des honoraires. Cet avocat devra informer de son intervention son confrère, le bureau d’aide juridictionnelle et le bâtonnier.
Très discutable, ce même article 19 fait défense à l’avocat de défendre les intérêts du client contre son prédécesseur, auquel il a succédé, sauf accord préalable du bâtonnier. Que veut dire cette disposition ? Lorsque nous défendons un client contre son ancien avocat, nous sommes toujours le successeur de cet avocat (parfois indirectement). Si l’autorisation du Bâtonnier est obligatoire pour toutes actions en responsabilité, cet article 19 est illégal car il risque de paralyser l’action du justiciable, dépourvu de recours en cas de refus.
Quel dommage ! L’article 22 de ce décret abroge, sans le remplacer, l’article 158 du décret du 27 novembre 1991. Ainsi, disparaît obligation de présentation au Président de juridiction et au Bâtonnier, lorsque l’on plaide à l’extérieur. Les amoureux de la courtoisie continueront certainement d’observer cette tradition...
Nous pouvons désormais faire de la publicité par voie de lettres en vue de donner des consultations, rédiger des actes ou proposer notre assistance en matière juridique, puisque l’article 23 supprime le mot « lettre » du décret du 25 août 1972.
Au terme de cette étude sommaire, le lecteur nous pardonnera une question simple : à qui aurait du incomber la tâche d’édicter nos règles de déontologie ?
L’article 53 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires (la Loi des avocats), impose au pouvoir réglementaire le respect de l’indépendance de l’avocat, de l’autonomie des conseils de l’ordre et du caractère libéral de la profession, lorsqu’il fixe les conditions d’application de l’organisation de la profession d’avocat et qu’il « présente » les règles de déontologie (il n’ « édicte » plus ces règles, depuis la modification issue de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004).
Le Conseil National des Barreaux, quant à lui, « unifie par voie de dispositions générales » les règles et usages de la profession d’avocat (selon l’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971, depuis la loi du 11 février 2004).
Ce sont donc les avocats qui décident eux-mêmes de leur déontologie, sous réserve de l’unification par le C.N.B. et de la simple « présentation » aux justiciables par décret, ce qui ce conçoit logiquement, puisque le Règlement Intérieur Unifié n’est pas publié au J.O. (en dépit du fait qu’il est bien plus simple à trouver, sur internet).
Mais le décret du 12 juillet 2005 est bien plus qu’une simple « présentation » : des dispositions nouvelles (les articles 17, 18 et 19, notamment) viennent élargir les possibilités de mise en cause de la responsabilité professionnelle de l’avocat.
Toute restriction à notre liberté d’exercer, imposé par le pouvoir exécutif, l’est obligatoirement au détriment de notre indépendance.
Le Gouvernement, adepte de « simplification du droit », n’aurait-il pas eut avantage à homologuer le Règlement Intérieur Unifié, en publiant un décret qui n’aurait coûté qu’un simple article ?
L’avenir nous dira si le décret du 12 juillet 2005 sort indemne de l’épreuve du feu.
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