" Je jure par Dieu tout puissant, de remplir les actes de la profession d'avocat en toute probité et en tout honneur, de garder le secret professionnel, de respecter les lois et de ne jamais manquer de respect et aux tribunaux et aux autorités publiques."

mercredi 6 février 2008

Le respect de la vie privée

ARRET :

Sur le moyen unique :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué,d'avoir condamné la société Presse-Office à payer des dommages et intérêtsà Gunther Sachs, en réparation de l'atteinte portée aux droits de celui-ci,dans le périodique LUI qu'elle édite, alors, d'une part, que l'arrêt n'auraitpu, sans contradiction, admettre d'un côté que l'article incriminé n'étaitque la recollection de faits publiés antérieurement, avec l'autorisationexpresse ou tacite de Sachs, et de l'autre qu'il portait atteinte à la vie privéede ce dernier, alors, d'autre part, que la publication de deux portraits deSachs ne saurait constituer une atteinte aux droits de la personne sur sonimage, dès lors que celui-ci était un homme connu, que ces portraits n'avaientpas été pris au cours de sa vie privée et ne représentaient pas des scènesintimes et la caricature ne pouvant être sanctionnée sur le terrain de la vieprivée, et alors, enfin, qu'il y aurait contradiction à reconnaître que lespublications antérieures à celle de l'article incrimine qui n'avait fait queles compiler, limitant l'étendue du préjudice subi par l'intéressé et qu'ily avait atteinte à la vie privée par effet de cette compilation, l'atteinte àla vie privée ne pouvant qu'avoir été ou ne pas avoir été ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'article incriminé relataitexclusivement des faits se rapportant à la vie privée de Gunther Sachs, l'arrêténonce que cet étalage causait un préjudice à celui-ci, que sa tolérance etmême sa complaisance passées à l'égard de la presse ne sauraient faire présumerqu'il ait permis définitivement et sans restriction à tout périodique derassembler et de reproduire des affirmations parues dans d'autres journaux,qu'un tel comportement était seulement de nature à diminuer, le cas échéant,l'étendue du préjudice et à faire diminuer en conséquence le montant desdommages-intérêts, que l'article incrimine en recueillant et rassemblant desrenseignements fragmentaires, vrais ou faux, épars dans diverses publications,et en touchant de nouvelles catégories de lecteurs, a causé un préjudice àl'intimé, alors surtout que le choix des événements ou des points qui sontrelatés, faisaient apparaître la personne privée de de Gunther Sachs sous unjour déplaisant ;

Que, la publication non autorisée de deux portraits de l'intéressé, dont l'uns'apparente à une caricature, constituait une atteinte aux droits de lapersonnes sur son image, que la tolérance traditionnelle admise à l'égard deceux dont la profession ou l'activité permet de présumer de leur part uneautorisation tacite n'existait pas en l'espèce ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel apu, sans encourir les critiques du pourvoi, retenir la responsabilité de lasociété Presse-Office, tant pour la publication de l'article que pour celledes portraits de l'intéressé ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 5 mars 1969par la Cour d'appel de Paris.

COMMENTAIRE :

Dans une société où s’est fortement développéela presse à scandales, les procès en matière de droit au respect de la vieprivée ont connu une progression exponentielle dès les années 1960 qui ontrendu indispensable l’affinement du traitement juridique de la question.Aussi, le droit au respect de la vie privée est un droit dont la reconnaissancepar le droit se fait à plusieurs niveaux : légalement –article 9 duCode civil depuis la loi du 17 juillet 1970-, mais également supra légalement-et ce depuis bien plus longtemps : art.12 de la Déclaration universellede droits de l’homme de 1948, art8-1 de la CEDH de 1950, art.17 du Pacte desNations Unies-. Or, encore faut-il savoir comment ce droit, largement protégé,est concrètement appliqué. L’arrêt de la 2e Chambre civile du 6 janvier 1971 est alors l’un despremiers par lequel la Cour de Cassation a statué sur la question.

Dans le périodique « Lui » édité par la Société Presse-Office,un article est publié qui compilait des extraits de publications antérieuresrelatant des faits et reproduisant des images se rapportant à la vie privée deGunther Sachs. Cette publication a eu lieu sans que celui-ci n’ait accordéson autorisation, si bien que, considérant ses droits au respect de la vie privéeet de la personne sur son image bafoués, il intente un procès à l’encontrede la société de presse responsable de la litigieuse publication. En premièrecomme en seconde instance, les juges du fond ont alors fait droit à sa demande,ayant retenu la responsabilité de la SociétéPresse-Office tant pour la publication de l’article que pour celle desportraits de l’intimé. Ladite société se pourvoit donc en cassation en alléguantque le droit au respect de la vie privée de M.Gunther Sachs ne saurait avoir étéviolé en ce que les extraits publiés avaient tous fait préalablementl’objet d’une autorisation expresse ou implicite par l’intimé lors deleur première publication et en ce que les portraits publiés ne sauraientconstituer une atteinte au droit de Gunther Sachs sur son image puisque celui-ci est une personne connue et que cesportraits avaient été pris hors de sa vie privée.

Le problème posé en ce litige est desavoir si, en ces conditions, la responsabilité de la société de presse miseen cause peut être retenue (ou non) au motif d’une violation du droit aurespect de la vie privée ou du droit qu’il a sur son image du défendeur aupourvoi.

Sans qu’il n’y ait lieu de mentionner un visa(puisqu’il s’agit ici d’un arrêt de rejet), la Cour a alors retenu laresponsabilité de la Société Presse-Office, tant pour la publication del’article (et donc pour violation du droit au respect de la vie privée deGunther Sachs) que pour celle des portraits de l’intéressé (et donc pour nonrespect de son droit à l’image). Elle a donc rejeté le pourvoi de laditesociété.

Cette cassation nous amène alors à réfléchirsur deux problèmes de droit : d’une part, la façon dont a pu êtreengagée la responsabilité de la société de presse pour atteinte au droit aurespect de la vie privée du défendeur au pourvoi ; et d’autre part, lesconditions qui ont du être réunies pour pouvoir lui opposer de même le droitde celui-ci sur son image.



I/ Ledroit au respect de la vie privée

A/le concept juridique et conditions de sa mise en œuvre.

Le droit au respect de la vie privée a été définipar la Cour de Strasbourg comme étant « le droit de mener son existencecomme on l’entend avec le minimum d’ingérence de l’extérieur ». EnFrance, c’est un droit subjectif depuis la loi du 9 juillet 1970, protégé par l’article 9 du Code civil (et non plus par l’article1382 et la responsabilité civile délictuelle qui assurait une protectioninsuffisante du fait de la nécessité qu’elle impose de démontrer une faute,un préjudice et un lien de causalité entre les deux).

Il s’applique aux personnes privées comme auxpersonnes publiques mais, pour cesdernières, s’ajoute la difficulté d’établir la ligne de partage vie privée/ vie publique, souvent bien difficile à distinguer. C’est le cas en l’espèce.Aussi, cette ligne de démarcation n’ayant pas été réellement juridiquementdéfinie, il est difficile, s’agissant de ces personnes, de savoir quand uneatteinte au droit au respect de la vie privée a été commise. On considèrealors, en principe, qu’elle a cours chaque fois que l’intéressé n’a pasconsenti à l’immixtion.

B/ mise en oeuvre et effets

Ainsi, s’il y a atteinte au droit au respect dela vie privée dès lors que l’intéressé n’a pas consenti àl’immixtion, le seul fait de raconter la vie privée d’une personne sans sonconsentement est constitutif d’une faute. Mais il convient ici cependantd’ajouter que le consentement peut être explicite ou tacite (Paris, 21 décembre1970…). La question se pose alors ici de savoir si l’on peut considérerqu’il y a eu en l’espèce consentement tacite en ce que le défendeur aupourvoi avait antérieurement autorisé d’autres personnes à publier cesinformations ? Ce n’est pas ce qu’a jugé la cour ayant en effet retenuque leur divulgation portaient préjudice à M.Sachs et donc que « la toléranceet même la complaisance passée à l’égard de la presse ne sauraient faire présumer qu’il ait permis définitivement à tout périodique derassembler et de reproduire des informations parues dans d’autres journaux ».

Deuxconclusions sont alors à dégager de cette déclaration: 1°) le droit aurespect de la vie privée est un droit absolu et perpétuel. Les moyens dont sontitulaire dispose pour le protéger demeurent donc toujours effectifs. L’intéresséa ainsi toujours la possibilité de changer d’avis quand à la façon dont ilentend gérer sa vie privée et quand à la part qu’il consent à porter à laconnaissance du public… En l’espèce la conséquence en est que lecomportement antérieurement complaisant de la victime à l’égard de lapresse n’est pas de nature à atténuer la faute du défendeur mais simplementde « nature à diminuer, le cas échéant, l’étendue du préjudice eten conséquence le montant des dommages intérêts ». Ainsi, 2°) le droitau respect de la vie privée s’applique paradoxalement dans la vie publique :les médias ne peuvent altérer la façon dont une personne se présente aupublic : c’est pourquoi le fait que «le choix des événements ou des« potins » relatés » faisant « apparaître la personneprivée de Gunther Sachs sous un jour déplaisant » a été déclaréconstitutif d’un préjudice par la cour liéen particulier au fait que l’article a vocation a toucher de nouveauxlecteurs.

Dans le conflit opposant la libertéd’expression de la presse et le droit d’information au droit de la personneà l’intimité, la cour a donc, et ceci suivant une jurisprudence assezconstante, accordé sa faveur au droit subjectif de l’individu subissant un préjudice. Il en aurait sans doute été différemment si l’information divulguéeétait réellement nécessaire à la satisfaction de l’intérêt général(cf. la déclaration de la CEDH : « l’ingérence doit viser un butlégitime »). Or, ici, l’absence d’utilité sociale et le fait qu’ilne peut être infligée à la victime une souffrance illégitime renforcentl’idée que la responsabilité de la société de presse puisse être engagéeet que celle-ci soit contrainte à payer des dommages et intérêts en réparationde l’atteinte portée aux droits de Gunther Sachs.

II/ Le droit dela personne sur son image

Avant que la notion de droit au respect de la vieprivée ne soit apparue en jurisprudence et n’ait été consacrée par la loi,celle de droit d’une personne, quelle qu’elle soit, sur son image était déjàadmise (la nature de ce droit suscitant pourtant des divergencesdoctrinales…)

A/ le concept juridique et conditions de sa mise en œuvre.

Il s’agit du droit qu’a toute personne des’opposer à la divulgation de son image, voire à la captation de celle-ci.Egalement protégé à l’origine par l’article 1382 et aujourd’hui parl’article 9 par extension analogique.

Il est admis que le droit de la personne sur sonimage est un droit exclusif mais qui doit se concilier avec ceux del’information lorsque celui dont l’image a été captée est une personnalitépublique ou participe aux événements de l’actualité.

Coïncide avec droit au respect de la vie privéechaque fois que la publication saisit l’image de la personne dans sa vie privéemais déborde le cadre de la vie privée en ce qu’il s’oppose à ce qu’unephotographie soit prise même dans un lieu public.

Consentementde la personne concernée préalable indispensable à la captation de son image

B/mise en œuvre et effets

Si le consentement de la personne concernée estbien un préalable indispensable à la captation de son image, il existecertaines circonstances qui font présumer le consentement : il peut yavoir des cas ou la profession ou l’activité de l’intéressé permet de présumerl’existence d’une autorisation tacite d’utilisation de son image (commeles artistes, personnages politiques…), d’autant que celle-ci participealors de leur notoriété. Aussi, le demandeur invoque-t-il le fait que M.Sachsest un homme connu afin d’établir qu’il n’y a, par ces portraits, pasd’atteinte à la vie privée de M.Sachs puisqu’elles ont été prises endehors du cours de sa vie privée et qu’unconsentement tacite est reconnu ence cas pour les personnes publiques dont il fait partie…

Laquestion qui se pose alors ici est de savoir si les conditions permettant d’établirla présomption de consentement de Gunther Sachs sont bien réunies et cen’est pas ce qu’a considéré la cour ici. En effet, l’un des deuxportraits s’apparentant à une caricature, c'est-à-dire une représentation dévalorisantede la personne du défendeur au pourvoi, elle a estimé que la présomption deconsentement devait être levée dans l’objectif de coordonner les intérêtsdes différents sujets de droit (la presse, d’une part, et le personnage médiatique,de l’autre), en faisant en sorte que la seconde ne puisse être discréditéesans moyen de défense… Ainsi, « la tolérance traditionnelle admise àl’égard de ceux dont la profession ou l’activité permet de présumer uneautorisation tacite n’existe pas en l’espèce » si bien que lapublication a pu être déclarée non autorisée. La responsabilité de la sociétéde presse peut donc être encore une fois engagée sur ce second fondement et ilvient à propos de signaler ici le fait que cette primauté du doit de lapersonne sur droit à l’information dans cette situation est une constante dela jurisprudence française en parfait décalage avec le régime appliqué dansd’autres Etats, comme les Etats-Unis. Elle ouvre de nouveau droit à réparationpour la victime.

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