" Je jure par Dieu tout puissant, de remplir les actes de la profession d'avocat en toute probité et en tout honneur, de garder le secret professionnel, de respecter les lois et de ne jamais manquer de respect et aux tribunaux et aux autorités publiques."

jeudi 28 février 2008

Rétention de sûreté : Ne laissons pas les polémiques occulter les vrais débats



Remise en cause ou pas, stratégie de contournement, « côté des victimes » ou « côté des criminels ». Depuis le prononcé de la décision du Conseil constitutionnel relative à la rétention de sûreté, tout se met en mouvement autour des irritations exécutives.

Et dans les même temps, évidemment, les débats importants sont occultés. Pourtant, la décision du Conseil constitutionnel, si on la lit attentivement, invite à des réflexions d'un autre niveau, qui mettent en jeu les fondements même de notre politique pénitentiaire.

On me permettra donc de ne pas gloser sur l'épiphénomène pour essayer de poser quelques jalons vers une réflexion plus essentielle.






Pour la pensée politique et juridique de gauche, la rétention de sûreté est un scandale au sens le plus intellectuel du terme : l'idée qu'une personne puisse être privée de sa liberté sans qu'elle n'ait commis aucune faute est une remise en cause absolue des principes de notre ordre pénitentiaire fondés sur un aspect essentiellement répressif : la peine est essentiellement une punition. Aussi bien, quiconque a purgé sa peine (et l'emploi du vocable « purge » à la logique juridique est significatif) doit retrouver sa place dans la société et personne ne peut être puni en raison de la seule « prévision » d'un délit.

La seule force préventive de la peine ne tient qu'à son exemplarité: la crainte du châtiment doit dissuader de la commission des crimes ou de leur récidive. C'est ici la plus dure doctrine de Beccaria et c'est aussi cette conception a été remarquablement exprimée par Robert Badinter, au cours des dernière semaines.

Pourtant, d'autre systèmes juridiques, dont l'influence sociale-démocrate est indéniable, raisonnent d'une toute autre façon : la protection de la société contre des agissements criminels à venir justifie la mise à l'écart de la société des individus susceptibles de les commettre.

Il est à cet égard étonnant que personne n'ait songé à rappeler, au cours des débats parlementaires, que la Cour EDH avait entièrement validé en 1990 la loi norvégienne dont le dispositif central permet de maintenir en rétention (soit médicale, soit en prison) un individu « aux facultés mentales insuffisamment développées ou durablement altérées (qui) commet un acte sans cela punissable, et s’il existe un risque de la voir, en raison de son état, en commettre un à nouveau ». (Il est à noter que ce dispositif ne concerne pas les personnes qui ne doivent pas être jugées en raison de leur état mental au moment de la commission des faits) (CEDH 29 août 1990, E c/ Norvège).

Ainsi, la rétention de sûreté est parfaitement conforme au droit de la Convention EDH. Compte-tenu de cette décision, il était peu probable que le Conseil constitutionnel censure le principe même de la rétention de la sécurité, car notre organe de contrôle de constitutionnalité poser rarement des standards de protection des droits de l'homme plus exigeants que ceux de la Cour EDH.

Cependant, si le principe même de cette mesure a été validé, il convient de souligner que l'analyse du régime pénitentiaire norvégien, permet de se rendre compte que la fonction de la peine y est toute différente de celle évoquée plus haut : la période de prison y est conçue principalement comme un lieu de « décriminalisation », visant à « purger » le criminel de ce qui a causé son passage à l'acte. D'où une législation très ferme sur le droit à l'éducation en prison, d'où encore des projets visant à « casser » l'univers carcéral, telle que cette prison « écolo-humaine ».

On comprend dès lors qu'il existe deux grands équilibres envisageables.

Soit une prison-punition, dont on sort quite avec la société, mais avec en contre-partie un système pénitentiaire axé sur la punition (peu de droits / mauvaises conditions de détention...).

Soit une prison-éducation, dont on ne ressort qu'éduqué (amendé), avec en contrepartie un système qui favorise cette éducation et cette émancipation et en vérifie la bonne fin, y compris après l'achèvement de la peine.

Evidemment, ce sont là deux idéaux types, et tous les systèmes pénitentiaires empruntent les traits de l'un et de l'autre pour parvenir à un équilibre jugé nationalement satisfaisant.

Le système français, comme je l'indiquais au début, incline clairement vers ce premier modèle.

La médiocrité des conditions carcérales, l'absence de mise à niveau par rapport aux standards internationaux, la réticence à admettre que les détenus ont des droits, tout cela concourt à faire de l'incarcération exclusivement un châtiment.

Or, depuis plusieurs années, on constate le développement de la thématique « préventive » : la « surveillance de sureté », puis aujourd'hui la « rétention de sûreté », font que le système français s'oriente de manière très nette vers les systèmes scandinaves, ou plus largement nord-européens.

Or le débat vient ici.

Si cette logique est tolérable, par exemple dans le système norvégien évoqué plus haut, c'est précisément parce qu'est constitué l'équilibre que j'indiquais : prison éducative / contrôle de la « décriminalisation ».

Mais la mise en œuvre de cette prison éducative suppose des moyens considérablement supérieurs à ceux qui sont alloués aux prisons françaises et, dans le même temps que l'on proclame la mise en œuvre de la « sûreté », on n'entend pas corrélativement, la mise en place d'un discours sur la modernisation des missions des établissements pénitentiaires (pas au delà, en tout les cas du minimum exigé par la bienséance charitable issue du XIXe siècle).

Ainsi, nous en sommes en train de rompre un équilibre qui n'était déjà pas des plus satisfaisants, en restant français quant à la conception pénitentiaire mais en devenant scandinave dans la gestion de la période post-pénitentiaire ce qui est, si l'on a bien voulu suivre nos analyses jusqu'à présent, un non sens radical.

Dans ce contexte une phrase peu soulignée de la décision du Conseil constitutionnel prend tout son sens : la rétention de sûreté n'est acceptable qu'à la condition que des soins aient déjà été prodigués aux détenus de manière suffisante pendant la durée de leur peine.

Car on ne peut pas reprocher à quelqu'un de demeurer dangereux si l'on n'a pas, alors qu'il était incarcéré, mis en œuvre les moyens propres à réduire cette dangerosité.

Il y a suffisamment peu de motifs de satisfaction dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel pour ne pas se féliciter cet appel à la rationalité pénitentiaire.

Alors, ne nous laissons pas obnubiler par la gesticulations sur la remise en cause, en force ou en douceur de la décision du Conseil constitutionnel. Ce ne sont là que de faux débats. Le seul véritable débat consiste à savoir si nous voulons que la rétention de sûreté soit simplement une étape supplémentaire dans la déshumanisation des personnes incarcérées, ou si nous voulons qu'elle s'inscrive dans un nouvel équilibre de notre politique pénitentiaire, nouvel équilibre qui requerra autant de volonté politique et de moyens (sinon plus) que ceux que l'on est disposé à engager pour mettre en œuvre la rétention de sûreté.

Je serai bien curieux d'entendre nos dirigeants, si prompts à solliciter toujours plus d'enfermement, prendre partie sur cette ।
Frédéric Rolin

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